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Avis du Conseil d'Etat du 27 mars 2019 : une interprétation libérale du décret JADE

« Si l’exercice des recours ne saurait être abandonné aux convenances de chacun, son régime ne saurait, sans être injuste, exclure tout libéralisme » (R. Chapus, Droit du contentieux administratif, Paris, Montchrestien, 2008, n° 517).
 
Dans un avis du 27 mars 2019 (n°426472), le Conseil d’État précise que la demande indemnitaire préalable qui conditionne la recevabilité d’une requête de plein contentieux s’apprécie au jour du jugement, faisant ainsi écho à sa jurisprudence « Établissement Français du sang de 2008 » du 11 avril 2008 (n°281374) et suggérant alors une interprétation du décret du 2 novembre 2016 dit « JADE ».
 
Cet avis est intervenu dans le cadre d’un litige relatif à la mise en jeu de la responsabilité hospitalière du CHU de Reims.
 
 En effet, saisi de l’affaire, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a demandé à la Haute juridiction de préciser, si la décision de l’administration portant sur la demande indemnitaire préalable, qu’elle soit implicite ou explicite pouvait, sans être contraire au second alinéa de l’article R. 421-1 du code de justice administrative, régulariser le contentieux en cours d’instance.
 
« Établissement français du sang » et la régularisation du contentieux en cours d’instance
 
Par sa décision « Établissement français du sang », il était clair pour le Conseil d’État que le recours était recevable même si la décision intervenait en cours d’instruction.
 
La Haute juridiction permettait clairement au requérant de saisir l’administration postérieurement à la saisine du juge administratif (CE, 8 juillet 1970, Andry, req. N°72891). La recevabilité d’un recours de plein contentieux s’analyse alors au moment où le juge statue.
 
Le revirement provoqué par le décret dit « JADE » (Justice Administrative de Demain)
 
Le décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016 est venu remettre en cause la règle prétorienne dégagée par le Conseil d’État dans l’arrêt « Établissement français du sang », en ajoutant un nouvel alinéa à l’article R. 421-1 du code de la justice administrative disposant qu’une requête indemnitaire introduite devant le Tribunal administratif n’était recevable qu’après l’intervention d’une décision de l’administration sur une demande préalablement formée devant elle :
Art. R. 421-1 : « La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée.
Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle.
Les mesures prises pour l'exécution d'un contrat ne constituent pas des décisions au sens du présent article. »
Afin de donner toute sa portée à ce nouvel alinéa, le Conseil d’Etat a rendu un avis n°420797 en date du 30 janvier 2019 dans lequel il précise l’applicabilité dans le temps des dispositions du décret JADE, mais sans se prononcer clairement sur la question de la demande indemnitaire préalable.
 
Marche arrière avec l’avis du Conseil d’État du 27 mars 2019 
 
Dans cet avis du 27 mars 2019, le Conseil d’Etat a adopté une position qui n’est pas sans rappeler celle retenue dans l’arrêt « Établissement français du sang », mais qui reste nuancé au regard des dispositions du décret ‘JADE’. 
 
Le Conseil d’Etat délivre une interprétation du décret JADE en précisant que bien qu’une décision de l’administration liant le contentieux soit une condition de recevabilité, celle-ci ne s’apprécie pas nécessairement au stade de l’introduction de la requête mais s’apprécie à la date à laquelle le juge statue.
 
 Autrement dit, la décision de l’administration peut intervenir dans le courant de l’instance. La décision de l’administration doit donc être préalable non pas à la requête, mais à la date de jugement. Il réaffirme alors ce qui était prévue dans l’arrêt « Établissement français du sang » de 2008, faisant fi du décret de la ‘justice administrative de demain’.
 
Cette position du Conseil d’État ne marque cependant pas un réel retour à la position passée du Conseil d’État.
 
Tout d’abord, l’avis en question vient mettre fin à la jurisprudence Ducroux (CE, n°60721, du 23 avril 1965), qui posait le principe selon lequel le mémoire en défense qui ne soulève pas en premier lieu l’irrecevabilité pour défaut de décision préalable est considéré comme constituant une décision de rejet (et de ce fait, régularise la requête). Le Conseil d’État ne réitère pas cette règle, allant alors à l’encontre de la philosophie de l’arrêt « Établissement français du sang ».
 
Aussi, dans l’affaire du CHU de Reims, la demande avait été formée préalablement à la requête, bien que la décision ne soit intervenue qu’en cours d’instance.
 
Au vu de l’avis du Conseil d’État, la décision de l’administration peut donc intervenir postérieurement à la requête ; cela ne revient pas pour autant à dire que la demande peut être formée postérieurement à la requête.
 
 
Si le juge a opté pour une interprétation particulière des dispositions du décret JADE, rappelons toutefois qu’il s’agit d’un avis et non d’un arrêt du Conseil d’État.
 
C’est non sans impatience que nous attendrons donc les prochaines décisions au fond.

Nous conseillons dans tous les cas à tout justiciable d’attendre de disposer d’une décision de rejet implicite ou explicite, avant de saisir le juge dans les deux mois qui suivent cette décision afin de se protéger de tout aléa jurisprudentiel.

Joanna AZOULAY