Une récente ordonnance du Tribunal administratif de Rouen (TA Rouen, 16 juin 2023, n°2302077) soulève à nouveau la question de la requalification d’un contrat de la commande publique en convention d’occupation du domaine public. Cette requalification a été l’occasion pour le juge des référés de rappeler les limites de sa compétence : si le contrat n’est ni un marché public ni une délégation de service public, le référé précontractuel ne peut pas être exercé.
Dans les faits, un centre hospitalier universitaire (CHU) avait, à l’issue d’une procédure de mise en concurrence, conclu une convention qualifiée de « concession de service ». Celle-ci permettait au bénéficiaire de la convention de proposer des prestations photographiques aux parents avec leurs nouveau-nés au cours de leur séjour à la maternité du CHU.
Après avoir appris le rejet de son offre, un candidat évincé a formé un référé précontractuel devant le tribunal administratif de Rouen.
- Une compétence restreinte aux contrats de la commande publique
Le tribunal a d’abord procédé à la requalification du contrat en convention d’occupation du domaine public et non en délégation de service public.
Le juge justifie cette requalification en soulignant d’abord que la convention envisagée par le CHU permettait à son titulaire d'occuper le domaine public hospitalier et d'exploiter une activité économique de photographie proposée aux parents des nouveau-nés, moyennant une redevance.
Ensuite, la convention ne confiait pas, selon le juge des référés, la gestion d’un service public mais seulement l’exploitation d’un service commercial, dans des conditions compatibles avec la destination et le fonctionnement du service public hospitalier.
De plus, la convention n’imposait « aucune contrainte, sujétion ou moyen de contrôle » sur l'organisation et le fonctionnement de l'activité commerciale de photographie.
Enfin, le concessionnaire était rémunéré par ses clients selon le tarif qu'il avait lui-même fixé et exerçait son activité dans des conditions concurrentielles. La personne publique ne versait aucun prix au concessionnaire, ni droit d'exploitation.
Pour toute ces raisons, le tribunal administratif estime que la convention était une convention d’occupation du domaine public. La procédure de mise en concurrence organisée par le CHU est donc la procédure requise pour une occupation domaniale avec activité économique, conformément à l'article L.2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques.
Par suite, le juge déduit de cette requalification que la convention en litige ne relevait pas des contrats mentionnés à l'article L. 551-1 du code de justice administrative, pour lesquels le juge du référé précontractuel est compétent. Cet article dispose en effet que :
« Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique.»
Cette ordonnance est donc un rappel important sur les contrats à l’égard desquels le juge des référés précontractuels est compétent, à savoir ceux qui sont énumérés limitativement à l’article L. 551-1 du code de justice administrative : les contrats de marchés publics, de délégation de service public ou encore de sélection d’un actionnaire opérateur d’une SEM.
L’incompétence du juge des référés précontractuels dans le cas d’un contrat exclu de cette liste, même s’il est conclu à la suite d’une mise en concurrence, est donc logique en ce que l’ordonnance fait une stricte application de la lettre de l’article L. 551-1. Cette délimitation mérite toutefois d‘être interrogée.
- Une compétence trop restrictive ?
Le fait que le juge des référés précontractuels se déclare incompétent à l’égard de contrats qui ne sont pas énumérés à l’article L. 551-1 du CJA n’est pas une nouveauté, y compris si le contrat est passé au terme d’une procédure de mise en concurrence.
Le Conseil d’Etat avait déjà exclu l’usage du référé précontractuel pour un contrat d’occupation domaniale, « alors même que la ville de Pari avait organisé une consultation préalable à la sélection de l’exploitant » (CE, 12 mars 1999, n°186085). Plus explicitement il a rappelé en 2017 que « la seule circonstance qu'une convention soit attribuée à l'issue d'une procédure ouverte, transparente et non discriminatoire » n'est pas de nature à établir que cette convention entre dans le champ matériel de l'art. L. 551-1 (CE, 14 févr. 2017, Sté de Manutention portuaire d'Aquitaine et Sté Grand Port Maritime de Bordeaux, n° 405157 et n°405183).
L’ordonnance du tribunal administratif de Rouen s’inscrit donc dans la jurisprudence. Pourtant, depuis le 21 avril 2017, l’article L.2122-1-1 du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques (CG3P) dispose :
« Sauf dispositions législatives contraires, lorsque le titre mentionné à l'article L. 2122-1 permet à son titulaire d'occuper ou d'utiliser le domaine public en vue d'une exploitation économique, l'autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d'impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester. »
Cet article, adopté par ordonnance, visait à conformer le droit national au droit européen, qui soumettait, depuis l’arrêt Promoimpresa (CJUE, 14 juil. 2016, n°C-458/14, Promoimpresa Srl, Mario Melis c/ Consorzio dei comuni della sponda bresciana del lago di Garda e del lago di Idro c/ Regione Lombardia c/ Comune di loiri porto San Paolo c/ Provincia di Olbia Tempio), la sélection des bénéficiaires de concession d’occupation du domaine public à la concurrence. Cette obligation avait pour objectif de développer la concurrence et favoriser le partage des ressources.
Depuis 2017, il existe donc une procédure de sélection préalable d’un cocontractant de l’administration obligatoire, alors même que le contrat qui en résulte ne relève pas du champ de la commande publique. La proximité avec les contrats de la commande publique est pourtant importante puisque les modalités de publicité et de mise en concurrence concernant les autorisations d’occupation du domaine ne sont pas précisées par l’ordonnance de 2017, les acteurs publics s’inspirent naturellement de celles qui régissent la commande publique.
Dans ce contexte, l’exclusion de ces contrats du champ du référé précontractuel alors qu’ils sont conclus à la suite d’une procédure de mise en concurrence publique s’inspirant de la commande publique peut sembler trop restrictive, pour deux raisons.
La première raison est l’efficacité et l’application de l’ordonnance de 2017 : le recours au référé précontractuel est un moyen efficace de faire respecter les obligations de publicité et de mise en concurrence. L’exclusion des conventions d’occupation du domaine public de ces référés conduit nécessairement à une moindre application de ces obligations.
La seconde raison est la cohérence : la disparité des régimes contentieux de deux procédures très proches a de quoi interroger. Pourquoi, alors que les mêmes exigences de publicité et de mise en concurrence s’imposent aux contrats de la commande publique et aux conventions d’occupation du domaine, ces dernières sont-elles soumises à un régime contentieux différent l’excluant du champ du référé précontractuel ?
Cette disparité s’explique de façon simple. Lorsque l’article L. 551-1 du CJA est entré en vigueur dans sa forme actuelle, le 19 août 2015, l’ordonnance de 2017 n’est pas intervenue et l’arrêt Promoimpresa n’a pas encore été rendu. Les conventions d’occupation du domaine, qui ne sont pas soumises à une mise en concurrence, ne figurent donc pas dans la liste des contrats énumérés à l’article L. 551-1 du CJA.
Néanmoins, la nécessaire multiplication des mises en concurrence pour des conventions d’occupation du domaine public conduira à une multiplication des contentieux et, éventuellement, à une extension de la compétence aujourd’hui très (trop) limitée du juge des référés précontractuels.
Me Laurent FRÖLICH et Paul GUERY
Cabinet Laurent FRÖLICH