Laurent Frölich avocat assistance marchés publics et  droit avocat délégation de service public et  droit de la fonction publique, Paris et Lille

Critères, sous-critères, méthode de notation des offres : Une ordonnance de référé précontractuel rendue par le TA de Caen le 10 janvier 2018 exemplaire

Par la voie du référé précontractuel, le Cabinet Laurent FRÖLICH a récemment défendu les intérêts d’une entreprise évincée d’une procédure de passation d’un marché public lancé par un groupement hospitalier.
 
Le pouvoir adjudicateur avait ainsi choisi les offres des candidats en s’affranchissant totalement des règles qu’il avait fixées dans les documents de la consultation tant concernant les critères que les sous-critères et la méthode de notation des offres.
 
Face à de telles irrégularités, le juge des référés du Tribunal administratif de Caen a logiquement fait droit à la demande du candidat consistant à enjoindre au mandataire du groupement hospitalier de reprendre la procédure au stade de l’examen des offres afférentes aux lots du marché concernés.
 
Cette ordonnance est l’occasion de rappeler les grands principes de la commande publique dans l’appréciation des critères et leur pondération.
 
1°) Sur les critères
 
En premier lieu, le pouvoir adjudicateur est libre de choisir les critères d’attribution du marché dès lors qu’ils lui permettent de déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse.
 
Toutefois, le pouvoir adjudicateur ne peut pas accorder une place prépondérante à un critère de sélection sans informer les candidats de ses attentes relatives à ce critère sans méconnaître les principes d’égalité de traitement des candidats et la transparence dans la procédure (CE, 28 avril 2006, Commune de Toulouse, n°280197).
 
En second lieu, le pouvoir adjudicateur ne peut pas modifier discrétionnairement les règles du jeu en cours de procédure, en neutralisant, par exemple, le critère du prix (CE, 27 avril 2011, Président du Sénat, n°344244).
 
Dans le marché litigieux, le règlement de la consultation mentionnait 3 critères à savoir la valeur technique, le prix et la « prestation fournisseur et développement durable », respectivement pondérés à 70%, 25% et 5%.
 
En appliquant les jurisprudences précitées, le juge des référés retient dans un premier temps qu’en examinant les offres au regard de seulement deux critères auxquels une pondération identique a été appliquée, le pouvoir adjudicateur a examiné les offres en ne respectant pas les critères fixés par le règlement de la consultation.
 
Il retient ensuite que leur pondération initialement fixée à 70 et 25 % a également été radicalement ignorée.
 
Il faut donc tirer de cette ordonnance deux enseignements :

  • Les critères de sélection doivent permettre au candidat de comprendre comment rédiger son offre et les points sur lesquels il doit insister afin de présenter l’offre économiquement la plus avantageuse ;
  • Une fois fixés dans le règlement de la consultation, les critères ainsi que leur pondération sont immuables.

Il faut également noter que le juge des référés a considéré que la gravité des irrégularités était telle – pointant une absence totale de respect du règlement de consultation - que la lésion était avérée alors même que le requérant avait obtenu des notes inférieures à celles de l’attributaire : « eu égard à l’absence totale de respect des dispositions du règlement de la consultation qu’ils révèlent, ces manquements ont nécessairement été susceptibles de l’avoir lésée, alors même que, du moins pour certains des lots en cause, les notes finales qui lui ont été attribuées dans les conditions rappelées ci-dessus étaient significativement inférieures à celles obtenues par les attributaires ; ».
 
Ce raisonnement du juge du référé précontractuel est à rapprocher de celui classiquement constaté qui consiste à apprécier la lésion à l’aune de l’écart de notation entre le candidat requérant et le candidat retenu.
 
Ainsi dans une précédente affaire que le Cabinet avait eu à connaître, le juge des référés avait retenu l’absence de lésion après avoir procédé à une comparaison des notes obtenues par le candidat retenu et par le candidat qui a contesté l’attribution ; il avait ainsi attribué fictivement la note maximale au candidat évincé sur l’une des appréciations pour constater que, même avec une telle note maximale « cela ne lui aurait pas permis pour autant d’être mieux classée que l’entreprise concurrente et de se voir attribuer le marché compte tenu de l’écart de notation important existant entre son offre qui a obtenu une note générale de 74,84 et celle de l’entreprise concurrente qui a obtenu une note générale de 98 ».
(voir ici : http://www.clfavocats.fr/droit-public-refere-precontractuel-motifs-de-rejet-methode-de-notation-ecart-de-notation)
 
Dans l’affaire jugée par le Tribunal administratif de Caen, le juge du référé précontractuel constate que le non-respect des critères de sélection des offres est si important et grave que le candidat évincé est lésé indépendamment même de l’écart de notation avec le candidat retenu.
 
Toutefois, d’autres irrégularités auraient pu être relevées par le juge du référé précontractuel, s’agissant des sous-critères de sélection et également de la méthode de notation des offres utilisée par le groupement hospitalier.
 
2°) Sur les sous-critères
 
S’agissant d’abord des sous-critères, les sous-critères déterminent les modalités de mise en œuvre des critères et n’ont normalement pas à être pondérés et s’ils le sont, le pouvoir adjudicateur n’a pas d’obligation de communiquer leur pondération ou hiérarchisation aux candidats.
 
Il n’en va autrement que si, eu égard à leur nature ou à l’importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres (CE, 25 mars 2013, Société Cophignon, n°364951).
 
Au même titre que les critères, les sous-critères doivent permettre aux candidats de comprendre comment rédiger leurs offres pour répondre aux besoins du marché.
 
Dans le cas présent, il apparaissait dans le règlement de la consultation que le critère de la valeur technique était apprécié en fonction de trois éléments (le dossier technique, les essais sur site et les gammes de présentations proposées en termes de gammes et de formes). Le pouvoir adjudicateur n’avait toutefois pas pris le soin de préciser l’importance et la hiérarchisation de ces trois éléments, ce qui ne permettait donc pas aux candidats de comprendre comment le critère de la valeur technique était apprécié et sur quels éléments il fallait davantage insister pour présenter l’offre économiquement la plus avantageuse.
 
3°) Sur la méthode de notation des offres
 
S’agissant ensuite de la méthode de notation des offres, celle-ci est librement définie par le pouvoir adjudicateur et n’a pas à être publiée (CE, 31 mars 2010, Collectivité territoriale de Corse, n°334279).
 
Toutefois, la méthode de notation des offres n’échappe pas au contrôle du juge du référé précontractuel qui s’assure que les modalités de notation employées par le pouvoir adjudicateur n’aboutissent pas à fausser l’application des critères de jugement des offres et leur pondération (CE, 3 novembre 2014, Commune de Belleville sur Loire, n°373362).
 
En l’espèce, alors qu’il ressortait des deux tableaux d’analyse des offres fournis par le pouvoir adjudicateur que la valeur maximale des notes obtenues pour les critères du prix et de la valeur technique était de 20, il apparaissant qu’en faisant le calcul afin de retrouver la note obtenue par la société requérante pour le dernier critère « prestation fournisseur et développement durable » qui n’apparaissait dans aucun des tableaux communiqués, et ce, en tenant compte de la pondération de 5% appliquée à ce critère selon le règlement de la consultation, les notes obtenues pour ce critère étaient deux voire trois fois supérieures à celles obtenues pour le critère du prix et de la valeur technique.
 
La méthode de notation utilisée par le pouvoir adjudicateur était ainsi dénuée de tout sens logique ou mathématique et aurait été sanctionnée par le juge dans le cadre de son contrôle de l’erreur de droit ou de la discrimination illégale (CE, 29 octobre 2013, Val d’Oise Habitat, n°370789) si le juge n’avait pas préféré ne retenir qu’un seul moyen d’annulation.
 
 
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