Laurent Frölich avocat assistance marchés publics et  droit avocat délégation de service public et  droit de la fonction publique, Paris et Lille

La protection fonctionnelle ne fait pas obstacle à la recevabilité d’une action civile

Cour de cassation, Chambre criminelle, 30 mars 2021, 17-82.096 20-81.516

https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/399_30_46743.html

En 2014, le maire de la commune de Petite-Île a été déclaré coupable en appel du chef de harcèlement à l’égard de deux agents municipaux
En mars 2016, la Cour de cassation a censuré partiellement cette décision.

En parallèle, les agents ont sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle. Par un jugement du tribunal administratif d’août 2016, la commune a été condamnée à verser aux agents, au titre de la protection fonctionnelle, la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi en conséquence du harcèlement moral.

En effet, la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 inclut les cas de harcèlement moral parmi ceux pour lesquels existe une obligation de protection. L’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires énonce ainsi que :
« La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer […], le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ».

Par un arrêt du 29 décembre 2016, la Cour d’appel de renvoi qui a été saisie a jugé recevable l’action des agents municipaux, malgré le jugement du tribunal administratif. La Cour a ainsi également statué sur les intérêts civils. Le maire a été condamné civilement à verser aux deux plaignants, sur ses deniers personnels, 50 000 euros à chacun.
Le maire de la commune a alors saisi la Cour de cassation.

La question qui se posait était de savoir si un maire reconnu coupable de harcèlement moral pouvait-il être condamné sur ses derniers personnels à indemniser les victimes alors même que la commune a déjà été condamnée à réparer le préjudice au titre de la protection fonctionnelle ?
Le Maire estimait que l’action des agents était irrecevable dès lors qu’ils avaient déjà saisi le juge administratif. En effet, le Maire invoquait l’article 5 du Code de procédure pénale qui prévoit que « la partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive ».
Le Maire estimait que la juridiction administrative relevait de la notion de « juridiction civile compétente ». Il soutenait également qu’il existait une méconnaissance du principe de réparation intégrale du préjudice en ce que les agents avaient déjà été indemnisés par le tribunal administratif.

La Cour de cassation a rejetté un tel raisonnement.

Elle a d’abord estimé que la procédure pénale n’opposait pas les mêmes parties et que les demandes présentées n’avaient pas le même fondement (article 1240 du code civil et article 2 du code de procédure pénale).

Elle a ajouté que l’exception d’irrecevabilité tirée de l’article 5 ne pouvait être utilement opposée lorsque le juge pénal a été saisi le premier de l’action civile. La Cour de cassation a aussi retenu que l’application de l’article 5 est cantonnée aux demandes portées devant le juge civil et devant le juge pénal. Autrement dit, l’article 5 ne s’applique pas dans les situations où le demandeur à l’action civile devant le juge pénal saisit également le juge administratif :
« la condamnation par une juridiction administrative de la commune, en raison d’une faute personnelle de son maire, détachable du service mais non dénuée de tout lien avec celui-ci, a pour effet de subroger la collectivité dans les droits de la victime. Elle ne saurait donc avoir pour effet de limiter l’appréciation de la juridiction répressive dans la réparation du préjudice résultant de cette faute, constitutive d’une infraction pénale ».

Autrement dit, le juge judiciaire n’est pas lié par l’évaluation du préjudice par le juge administratif.
En conclusion, la condamnation du Maire sur ses deniers personnels a été validée par la Cour de cassation en raison de l’existence d’une faute personnelle détachable de ses fonctions.