Laurent Frölich avocat assistance marchés publics et  droit avocat délégation de service public et  droit de la fonction publique, Paris et Lille

Le fonctionnaire peut, en principe, obtenir la communication des témoignages recueillis dans le cadre de la procédure disciplinaire le concernant

CE, 5 février 2020, n° 433130
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000041549030
 
Un décret a été pris pour mettre fin aux fonctions du directeur de l’Établissement National des Invalides de la Marine en 2019 après une enquête portant sur des faits de harcèlement exercés à l’encontre de certains membres du personnel.
Le directeur a demandé l’annulation de ce décret au motif notamment qu’il n’avait pas reçu la communication de son dossier.

Rappelons qu’en vertu de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, un agent public faisant l’objet d’une mesure prise en considération de sa personne, qu’elle soit ou non justifiée par l’intérêt du service, doit être mis à même d’obtenir communication de son dossier.

A la suite de l’enquête, un rapport d’inspection a été rédigé. De plus, plusieurs procès-verbaux d’auditions du membre du personnel ont été rédigés.

Le rapport, rendu en avril 2019, a conclu à l’absence de harcèlement sexuel mais souligne qu’il existe des méthodes de gestion inadaptées. Ce rapport préconise qu’il soit rapidement mis fin aux fonctions du directeur.

Dans le cadre de la procédure disciplinaire mise en œuvre, le directeur a pu consulter son dossier administratif et présenter des observations. Toutefois, ni son dossier administratif ni le rapport d'inspection ne comprenaient les cinquante-cinq procès-verbaux d’audition des agents.

Le Directeur avait alors transmis une demande de communication. Celle-ci a été rejetée.

Saisi par le Directeur sanctionné, le Conseil d’État a clarifié les modalités de communications des pièces du dossier disciplinaire à l’agent :
« 3. Lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, le rapport établi à l'issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné. »
 
Ainsi, en vertu des dispositions de la loi du 22 avril 1905, le rapport établi à l’issue d’une enquête administrative à l’encontre d’un agent public et les éventuels procès-verbaux d’auditions doivent être communiqués à l’agent en question.
Le Conseil d’État fixe toutefois une limite : une telle communication ne sera pas possible si les procès-verbaux peuvent porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.

En l’espèce, le juge administratif considère que la décision est illégale faute pour le directeur d’avoir reçu communication de toutes les pièces qu’il était en droit d’obtenir préalablement à l’intervention de la décision ayant mis fin à ses fonctions.

Le rapporteur public a estimé dans ses conclusions que :
« Le travail des inspecteurs contribue déjà à constituer le dossier qui justifie la décision finale, et que ce rapport et les pièces recueillies pertinentes sont donc communicables à l’intéressé à sa demande. […] Lorsque ce travail d’enquête conduit à recueillir des témoignages, qui sont consignés par les procès-verbaux d’entretien ou dans les documents écrits envoyés par les témoins, ces documents font partie du dossier et sont communicables […] Cette position en faveur des agents publics rejoint celle que vous avez adoptée depuis plus de dix ans en matière de salariés protégés, en réservant le cas extrême où la communication « serait de nature à porter gravement préjudice » aux témoins, auquel cas il faut remplacer la communication par une description « suffisamment circonstanciée » de la teneur des documents ».

Une décision similaire a été rendue par le Conseil d’État le 28 janvier 2021 (CE 28 janvier 2021, n° 435946). Dans cette décision, le juge administratif a considéré que lorsqu’une sanction disciplinaire est susceptible d’être prise sur le fondement d’un rapport établi à l’issue d’une enquête, y compris diligentée par des corps d'inspection, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l’agent font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication. En l’espèce, l’agent en question a fait l’objet d’une procédure disciplinaire, pour manquement grave aux obligations de probité et d'intégrité ainsi qu'à la réputation de son corps.

Enfin, précisons que le juge administratif fait la distinction entre deux types de contrôles de la part du corps d’inspection.

Les contrôles systématiques de précaution ne donnent pas droit à communication d’éventuels procès-verbaux, tandis que les contrôles circonstanciels donnent droit à communication du dossier et ce droit est très étendu.

Les enquêtes administratives menées dans le cadre de procédures disciplinaires font partie de la seconde catégorie.