Laurent Frölich avocat assistance marchés publics et  droit avocat délégation de service public et  droit de la fonction publique, Paris et Lille

Le manque d’exemplarité d’un fonctionnaire de police peut justifier sa révocation alors même qu’il a été relaxé au pénal

CAA NANCY 13 OCTOBRE 2020, n°18NC03233

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Un gardien de la paix a fait l’objet d’une sanction de révocation pour avoir consulté le système de traitement des infractions constatées (STIC) afin de vérifier les antécédents d’une famille avec laquelle il était en contact de manière régulière, ainsi que pour avoir maintenu des relations très étroites par la suite.
Il a notamment accepté de garder chez lui un véhicule de l’un des membres de cette famille, qu’il savait avoir été condamné pour escroquerie. L’agent a même pris l’initiative de retirer les plaques d’immatriculation.

Le tribunal correctionnel a condamné l’agent pour ces faits.

Toutefois, par un arrêt devenu définitif de la cour d’appel de Nancy, le juge pénal a prononcé la relaxe de l’agent des faits de recel d’un véhicule confié par une une personne condamnée pour escroquerie.

La juridiction pénale ne remet pas en cause la matérialité des faits, mais relève seulement que le caractère intentionnel n’est pas établi et que la preuve de ce que le requérant connaissait l’origine frauduleuse du véhicule ne l’est pas non plus.

L’agent a été révoqué de la fonction publique. En première instance, son recours a été rejeté par le Tribunal administratif.
L’appel interjeté a permis à la Cour administrative d’appel de Nancy de rappeler et de préciser les principes relatifs à l’autorité de la chose jugée au pénal au cas particulier de l’agent relaxé en appel après avoir été condamné en première instance (I). Ensuite, la Cour a rappelé les différents éléments que le juge de l’excès de pouvoir doit prendre en compte dans le cadre du contrôle de proportionnalité qu’il exerce sur les sanctions infligées aux agents publics (II).
 

  • L’autorité de la chose jugée au pénal sur l’action disciplinaire

 
Rappelons que l’article 29 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires énonce que :« toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ».

La Cour administrative d’appel rappelle le principe selon lequel un jugement ou un arrêt de relaxe ne fait pas obstacle au prononcé, pour ces mêmes faits, d’une sanction disciplinaire, dès lors que les faits pour lesquels l’agent n'a pas été pénalement condamné sont suffisamment établis et constituent une faute disciplinaire.

«  4. En premier lieu, en principe, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose à l'administration comme au juge administratif qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement devenu définitif, tandis que la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, à l'autorité administrative d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction administrative. Il n'en va autrement que lorsque la légalité de la décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale, l'autorité de la chose jugée s'étendant alors exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal. »
 
L’agent reprochait au Ministre de l’Intérieur de ne pas avoir pris en compte la relaxe prononcée par la juridiction pénale et donc d’avoir fondé sa décision et sur la seule condamnation pénale en première instance.

Au cas d’espèce, la cour relève que c'est en raison de l’absence de caractérisation de l’élément intentionnel de l’infraction que l’agent a été relaxé en appel. En effet, aucune preuve de ce que l’agent connaissait l’origine frauduleuse du véhicule qui lui avait été confié n’a été apportée.

Néanmoins, la matérialité de la détention du véhicule était clairement établie, d’autant plus que l’agent l’avait d'ailleurs admis.

La Cour relève également que l’arrêté de révocation mentionne justement la relaxe. L’arrêté de révocation reconnait que la juridiction qualifie « de simple négligence » les faits de l’espèce, mais sur que sur le plan professionnel, ceci constitue bien « un manque de discernement caractérisé » justifiant une sanction disciplinaire.
 

  • Le contrôle de proportionnalité des sanctions contre les agents publics

 
Cet arrêt est l’occasion pour la Cour administrative d’appel de Nancy de faire application des règles du contrôle de proportionnalité issus de l’arrêt Dahan.
Dans le cadre de ce contrôle, la cour prend en compte la nature des fonctions. En effet, elle insiste en estimant que les faits reprochés à l’agent constituent « un manque de discernement caractérisé au regard de sa qualité d'agent de police judiciaire et donc d'auxiliaire de justice ». La cour prend en compte le fait que cet agent est un fonctionnaire de police, et qu’il doit faire preuve d’exemplarité. Une telle prise en compte est nécessairement plus particulière dès lors qu’il s’agit d’un fonctionnaire de police comme en l’espèce.

Ensuite, dans le cadre de son contrôle, la Cour relève la pluralité des fautes et les antécédents de l’agent. En effet, la sanction est justifiée dès lors que l’agent a commis successivement plusieurs fautes.

De manière générale, le passé d’un agent peut justifier une forme de clémence par les instances disciplinaires, mais il peut tout aussi justifier une particulière sévérité comme en l’espèce.

« 8. D'une part, les faits mentionnés au point précédent constituent des fautes particulièrement graves pour un policier, officier de police judiciaire, titularisé depuis vingt ans dans la police nationale à la date de ces agissements. Alors même que M. C... relève qu'il n'a consulté le STIC à des fins purement privées sans nécessité de service qu'à une seule reprise et n'a pas divulgué d'informations résultant de cette consultation, il ne pouvait ignorer, en sa qualité de fonctionnaire de police, que ce fichier ne pouvait être consulté qu'à des fins professionnelles. De plus, après avoir procédé à cette consultation, il n'a pas pris les distances nécessaires avec la famille avec laquelle il était en relations régulières et dont il n'ignorait plus les antécédents judiciaires et a même accepté de garder chez lui un véhicule dont l'un des membres de cette famille déclarait être propriétaire. En énonçant que M. C... avait délibérément continué à entretenir " des relations étroites et régulières " avec ces personnes, tout en mentionnant qu'il avait illégalement procédé à une consultation illégale du STIC, l'autorité administrative n'a pas entaché la décision litigieuse de contradiction, dès lors qu'il appartenait à M. C... de tirer les conséquences de la consultation illégale de fichier à laquelle il avait procédé. Ainsi, l'autorité administrative, qui n'a pas présenté les faits de manière partiale, n'a pas inexactement qualifié les faits en litige en relevant le comportement équivoque de M. C... et son " manque de discernement caractérisé ".

9. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. C... a fait l'objet de deux sanctions disciplinaires antérieures, l'une d'exclusion temporaire de douze mois avec sursis de onze mois en octobre 1997 et l'autre, le 20 juillet 2007, portant abaissement d'échelon pour manquements déontologiques à ses obligations de dignité, d'intégrité et d'exemplarité pour des faits commis entre 2004 et 2006 encore récents à la date de cette sanction. Si le requérant invoque sa bonne notation pour l'année 2008, sans l'établir au demeurant, cette circonstance est sans incidence sur la sanction disciplinaire prononcée à son encontre au regard de la gravité des fautes qu'il a commises et de ses antécédents. »

En l’espèce, chaque faute prise de manière isolée n’aurait peut-être pas justifiée une mesure de révocation.

Ainsi, si l’agent a consulté le STIC à des fins privées une unique fois et sans divulguer d’information, la cour relève également que l’agent a fait l’objet de trois comparutions devant une instance disciplinaire et de deux sanctions dont l’une pour manquements déontologiques à ses obligations de dignité, d’intégrité et d’exemplarité.