Laurent Frölich avocat assistance marchés publics et  droit avocat délégation de service public et  droit de la fonction publique, Paris et Lille

LE NOUVEAU RÉFÉRÉ ADMINISTRATIF "SECRET DES AFFAIRES".

Le décret n° 2019-1502 du 30 décembre 2019 introduit un nouveau type de référé en contentieux administratif : « le référé secret des affaires » et bouleverse l’équilibre entre le principe du contradictoire et le respect du secret des affaires, en référé comme au fond.

Le décret n° 2019-1502 du 30 décembre 2019 portant application du titre III de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et autres mesures relatives à la procédure contentieuse administrative est paru au Journal officiel le 31 décembre 2019.
Son article 4 est particulièrement intéressant puisqu’il introduit un nouveau type de référé : « le référé secret des affaires » et bouleverse l’équilibre entre le principe du contradictoire et le respect du secret des affaires, en référé comme au fond.
I. L’introduction d’un nouveau référé « secret des affaires ».
L’article 4 du décret insère un article R557-3 dans le Code de justice administrative, qui introduit une procédure de référé secret des affaires.
Il dispose ainsi : « Lorsqu’il est saisi aux fins de prévenir une atteinte imminente ou faire cesser une atteinte illicite à un secret des affaires, le juge des référés peut prescrire toute mesure provisoire et conservatoire proportionnée, y compris sous astreinte. Il peut notamment ordonner l’ensemble des mesures mentionnées à l’article R. 152-1 du code de commerce. »
En conséquence, la mise en œuvre de ce nouveau référé répond à l’exigence particulière que soit effectivement atteint le secret des affaires, et prévoit une large étendue des pouvoirs confiés au juge des référés.
A- L’atteinte au secret des affaires.
Tout d’abord, le bénéfice de ce nouveau référé n’est possible qu’à la condition que soit caractérisée une atteinte illicite imminente (et non pas hypothétique), ou actuelle au secret des affaires. Toute la question ici est de déterminer si est effectivement en cause une information couverte par le secret des affaires.
L’article L151-1 du Code de commerce apporte un éclairage particulier sur ce point, et précise qu’est couverte par le secret des affaires toute information qui cumulativement :
« 1° […] n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;
2° […] revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;
3° […] fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. »
B- Un pouvoir d’ordonner des mesures provisoires et conservatoires.
Dès lors que l’atteinte illicite imminente ou actuelle au secret des affaires est caractérisée, le juge des référés pourra donc ordonner toute mesure provisoire et conservatoire prévue à l’article R152-1 du Code de commerce, comme :
« 1° Interdire la réalisation ou la poursuite des actes d’utilisation ou de divulgation d’un secret des affaires ;
2° Interdire les actes de production, d’offre, de mise sur le marché ou d’utilisation des produits soupçonnés de résulter d’une atteinte significative à un secret des affaires, ou d’importation, d’exportation ou de stockage de tels produits à ces fins ;
3° Ordonner la saisie ou la remise entre les mains d’un tiers de tels produits, y compris de produits importés, de façon à empêcher leur entrée ou leur circulation sur le marché. »
Une telle étendue des pouvoirs d’injonction confiés au juge des référés témoigne véritablement d’une volonté de protéger le secret des affaires devant le juge administratif, d’autant plus que le référé « secret des affaires » est autonome d’un recours au fond et peut être introduit à tout moment sans condition de délai.
C- Un pouvoir d’autoriser la poursuite de l’atteinte illicite au secret des affaires.
Enfin, le juge des référés peut autoriser la poursuite de l’atteinte illicite au secret des affaires, sous réserve de la constitution d’une garantie par le défendeur destinée à indemniser le préjudice subi par le demandeur du fait de cette atteinte. Les conditions dans lesquelles cette garantie est formée sont précisées à l’article R152-1 du Code de commerce auquel renvoie le Code de justice administrative :
« II.- Aux lieu et place des mesures provisoires et conservatoires mentionnées aux 1° à 3° du I, la juridiction peut autoriser la poursuite de l’utilisation illicite alléguée d’un secret des affaires en la subordonnant à la constitution par le défendeur d’une garantie destinée à assurer l’indemnisation du détenteur du secret. La juridiction ne peut pas autoriser la divulgation d’un secret des affaires en la subordonnant à la constitution de la garantie mentionnée au premier alinéa.
III. -La juridiction peut subordonner l’exécution des mesures provisoires et conservatoires qu’elle ordonne à la constitution par le demandeur d’une garantie destinée, dans le cas où l’action aux fins de protection du secret des affaires est ultérieurement jugée non fondée ou s’il est mis fin à ces mesures, à assurer l’indemnisation du préjudice éventuellement subi par le défendeur ou par un tiers touché par ces mesures.
IV.- La garantie mentionnée aux II et III est constituée dans les conditions prévues aux articles 514-5, 517 et 518 à 522 du Code de procédure civile.
V.- Les mesures prises en application du présent article deviennent caduques si le demandeur ne saisit pas le juge du fond dans un délai courant à compter de la date de l’ordonnance de vingt jours ouvrables ou de trente et un jours civils si ce dernier délai est plus long. »

II. L’exception au contradictoire s’agissant de la communication de pièces relevant du secret des affaires.
L’article 4 du décret témoigne également de la prise en compte croissante du secret des affaires par la justice administrative, en ce qu’il bouleverse l’équilibre entre le principe du contradictoire et le respect du secret des affaires, en référé comme au fond. A cet effet sont insérés dans le Code de justice administrative un article R611-30 et un article R775-5, le premier relatif à toute procédure ordinaire et le second relatif à la procédure spéciale du contentieux indemnitaire du fait de pratiques anticoncurrentielles.
Ces nouvelles dispositions énoncent toutes deux que :
« Lorsqu’une partie produit une pièce ou une information dont elle refuse la transmission aux autres parties en invoquant la protection du secret des affaires, la procédure prévue par l’article R412-2-1 est applicable. »
Ce renvoi à l’article R412-2-1 du Code de justice administrative n’est pas anodin. En cause, la transmission de la pièce couverte par le secret des affaires rejoint le régime général commun à toutes les procédures ordinaires s’agissant de l’absence de communication à la partie adverse de certaines pièces.
Il en ressort donc que toute pièce qui présente une information couverte par le secret des affaires peut ne pas être versée au débat par son seul caractère d’information couverte par le secret des affaires : il suffit à la partie produisant une telle pièce de communiquer au juge par mémoire distinct les motifs par lesquels ces pièces sont effectivement couvertes par le secret des affaires et donc insusceptibles d’être versées au débat.
A ce mémoire distinct doit être jointe, dans la mesure du possible, une version non confidentielle transmissible à la partie adverse de la pièce objet d’une telle demande. Par conséquent, la pièce couverte par le secret des affaires ne sera pas versée au débat mais sera pour autant soumise à l’appréciation du juge.
Un tel mécanisme trouve sa pleine effectivité dans les référés précontractuels, où pourra être désormais soumis à l’appréciation du juge des référés le rapport d’analyse des offres sans que la partie adverse ne puisse en prendre connaissance.

Laurent FRÖLICH et Simon MANDEVILLE