Laurent Frölich avocat assistance marchés publics et  droit avocat délégation de service public et  droit de la fonction publique, Paris et Lille

Le recours injustifié à la procédure concurrentielle avec négociation (PCN) peut conduire à l’annulation de la procédure de passation par le juge du référé précontractuel.

(TA Lyon, ord. 14 avril 2020, SARL AED Amiante et Environnement, n°2001965 défendue par le Cabinet Laurent FRÖLICH)
 
Par une ordonnance rendue le 14 avril 2020, le juge du référé précontractuel du Tribunal administratif de LYON a annulé la procédure de passation d’un lot d’un marché public car il ne pouvait pas faire l’objet d’une procédure concurrentielle avec négociation au regard de l’article 25 paragraphe II du décret du 25 mars 2016.
 
En l’espèce, un office public d’habitat avait lancé une procédure de passation d’un marché de réalisation de diagnostics techniques réglementaires avant démolition, relocation, vente et travaux, pour laquelle il avait décidé de recourir à la procédure concurrentielle avec négociation.
 
L’une des entreprises dont l’offre a été rejetée, a alors saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de LYON. A l’appui de sa requête, elle a notamment soutenu que le recours à une procédure concurrentielle avec négociation n’était pas justifié par le pouvoir adjudicateur, et a fortiori qu’un tel marché n’entrait pas dans les hypothèses de recours à cette procédure dérogatoire limitativement définies à l’article 25 paragraphe II du décret du 25 mars 2016.
 
Dans ces circonstances, l’office public d’habitat a produit le rapport de présentation, qui motivait le recours à la procédure concurrentielle avec négociation au motif que la satisfaction de son besoin exige des solutions innovantes (2° du paragraphe II de l’article 25 du décret du 25 mars 2016). Cependant, en l’absence d’informations complémentaires et après examen de l’objet et des pièces du marché, le juge du référé précontractuel du Tribunal administratif de LYON déduit que la satisfaction du besoin de l’office public d’habitat ne requiert pas une solution innovante, dès lors que les prestations requises pour satisfaire ce besoin devaient répondre aux exigences du cahier des clauses techniques particulières, lui-même renvoyant aux réglementations et normes courantes applicables en la matière. Par ailleurs, la circonstance que la satisfaction du besoin de l’office public d’habitat exige la réalisation de prestations en de multiples lieux, que les entreprises pouvaient présenter des variantes voire que les offres comportaient des prix différents, ne suppose en rien que ce besoin ne peut être satisfait que par une solution innovante.
 
En conséquence, l’office public d’habitat ne pouvait pas recourir à une procédure concurrentielle avec négociation puisqu’il ne justifie pas que la satisfaction de son besoin est tributaire de solutions innovantes : dans ce cadre, le juge du référé précontractuel du Tribunal administratif de LYON a annulé la procédure de passation du lot litigieux.
 
Cette ordonnance est intéressante à plusieurs égards outre qu’elle a été rendue au vu des mémoires échangés sans tenue d’audience en raison de la situation sanitaire :
 
Elle permet de rappeler que le choix erroné d’une procédure de passation d’un marché public constitue un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, susceptible d’entraîner l’annulation de cette procédure de passation, dès lors que ce choix a lésé ou a pu léser le concurrent évincé qui le justifie.
 
Elle rend compte du contrôle, par le juge du référé précontractuel, des motifs avancés par le pouvoir adjudicateur justifiant le recours à la procédure concurrentielle avec négociation qui n’est strictement possible que dans les hypothèses limitativement énumérées au paragraphe II de l’article 25 du décret du 25 mars 2016, désormais codifié à l’article R. 2124-3 du Code de la commande publique.
 
Enfin, cette ordonnance approfondit la notion de solution innovante, et témoigne de l’examen in concreto par le juge du référé précontractuel, via un faisceau d’indices, de la qualification ou non de solution innovante justifiant le recours à la procédure concurrentielle avec négociation. Ici, le juge a pu tenir compte des circonstances de la réalisation des prestations en de multiples lieux, la possibilité de présenter des variantes, voire la différence de prix entre les offres, pour déterminer que n’est pas caractérisé le besoin d’une solution innovante justifiant le recours à la procédure concurrentielle avec négociation.
 
A plus forte raison dans le cadre de ce contrôle in concreto, le juge du référé précontractuel est particulièrement sensible à la circonstance que le pouvoir adjudicateur fait référence, dans les pièces du marché, aux réglementations et normes courantes applicables aux prestations objets du marché. Cette référence aux réglementations et normes courantes applicables est bien souvent révélatrice de la définition préalable du besoin précis du pouvoir adjudicateur avant la procédure de passation, alors même que toutes les hypothèses de recours à une procédure concurrentielle avec négociation supposent le contraire. C’est en ce sens que le Conseil d’Etat avait déjà annulé une procédure de dialogue compétitif au motif que le pouvoir adjudicateur avait précisément défini seul son besoin, préalablement à la mise en œuvre de la procédure de passation, et n’exigeait donc la proposition d’aucune solution innovante (CE, 18 décembre 2017, Méteo France, n°413527).

Ordonnance du 10 avril 2020 [PDF]