Laurent Frölich avocat assistance marchés publics et  droit avocat délégation de service public et  droit de la fonction publique, Paris et Lille

Le secret des affaires et la juridiction administrative

  • TA, Guadeloupe, ord. 9 juin 2021, SHAM, n°2100560
  • CE, 9 juin 2021, Sté Lorany Conseils, n°449643

 
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000043648196?juridiction=TRIBUNAL_CONFLIT&page=1&pageSize=10&query=449643&searchField=ALL&searchType=ALL&sortValue=DATE_DESC
 

Le référé « secret des affaires » tendant vers une certaine efficacité

 
Le référé « secret des affaires » a été introduit par le décret du 30 décembre 2019, n°2019-1502. Il a, par la suite, été codifié à l’article L. 557-3 du Code de justice administrative. Cet article dispose que :
 

« Lorsqu'il est saisi aux fins de prévenir une atteinte imminente ou faire cesser une atteinte illicite à un secret des affaires, le juge des référés peut prescrire toute mesure provisoire et conservatoire proportionnée, y compris sous astreinte. Il peut notamment ordonner l'ensemble des mesures mentionnées à l'article R. 152-1 du code de commerce. »

 
À ce jour, rares sont les contentieux en matière de « référé secret des affaires », a fortiori en droit de la commande publique.
 
Cependant, le Tribunal administratif de Guadeloupe a rendu une ordonnance le 9 juin 2021 sur le fondement du référé « secret des affaires ». 
 
Un candidat à une procédure de passation d’un marché public d’assurances a déposé une requête en référé « secret des affaires » le 7 juin 2021. Dès le 9 juin, le Tribunal administratif de Guadeloupe a rendu une ordonnance très importante qui a eu pour effet de suspendre l’analyse des offres et qui enjoint à l’acheteur d’interdire, par tout moyen, l’accès à l’ensemble des documents déposés par les soumissionnaires à toutes les personnes travaillant chez l’assistant à la maîtrise d’ouvrage qui était soupçonné de partialité.
 
L’introduction de ce nouveau référé peut donc se révéler particulièrement efficace en droit de la commande publique.
 
Néanmoins, bien que ce référé « secret des affaires » ait beaucoup de potentiel, en vertu notamment de l’étendue de l’office du juge, la protection du secret des affaires par le juge administratif n’est pas encore irréprochable.
 
 

Le maintien d’une jurisprudence particulièrement dangereuse pour le secret des affaires

 
En effet, par un arrêt du Conseil d’État en date du 9 juin 2021, la Haute juridiction administrative devait se prononcer sur la légalité de l’annulation d’une procédure de passation d’un contrat de concession lorsque le juge des référés a fondé sa décision sur des pièces obtenues en violation du secret des affaires.
 
Le Conseil d’État énonce : « Si la société Lorany Conseils soutient en premier lieu que le juge des référés du tribunal administratif de Rouen s'est à tort fondé sur des pièces communiquées par la société Gimarco en violation du secret des affaires, cette circonstance n'est pas de nature à entacher d'irrégularité ni d'erreur de droit son ordonnance, dès lors que ces pièces ont pu être discutées contradictoirement par les parties ».
 
Par conséquent, il est possible pour le juge du référé précontractuel de se fonder sur des pièces obtenues en méconnaissance du secret des affaires à la condition que les documents en cause aient été soumis au débat contradictoire des parties.
 
Cette solution n’est pas inédite puisque la Haute juridiction administrative a déjà reconnu la légalité de décisions prises sur le fondement de pièces confidentielles (voir par exemple : CE, 8 novembre 1998, n°201966).
 
Il est intéressant de relever cette contradiction : d’une part, le juge administratif semble vouloir appliquer efficacement le référé introduit spécialement pour protéger le secret des affaires, mais, d’autre part, le même juge refuse de revenir sur la jurisprudence précitée du Conseil d’État, alors qu’elle nuit particulièrement au secret des affaires dans le cadre des marchés publics.