(Conseil d'Etat, 27 janvier 2020, n° 425168)
Par un arrêt en date du 27 janvier 2020, le Conseil d’Etat a précisé que sont irrecevables les conclusions d’appel en garantie formées par le maître d’ouvrage, dès lors que le décompte général et définitif n’en fait pas mention et a été établi postérieurement à cet appel en garantie.
Les faits à l’origine de cette décision méritent de s’y attarder. En l’espèce, en 2009, le centre hospitalier de Libourne avait conclu un contrat de maîtrise d'œuvre avec un groupement solidaire d'entreprises pour la construction d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Un autre groupement d'entreprises a formé un recours en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de son éviction lors de la phase de candidature pour l'attribution d’un lot. Quelques semaines après établissement et notification du décompte général et définitif au groupement attributaire, le tribunal administratif de Bordeaux fait droit à cette demande, et condamne d’une part le centre hospitalier de Libourne à lui verser une indemnité conséquente et, d'autre part, le groupement attributaire à garantir intégralement le centre hospitalier du paiement de cette indemnité. Le groupement ainsi condamné, invoquant l’irrecevabilité des conclusions d’appel en garantie du centre hospitalier du fait du décompte général et définitif, forme appel : la cour administrative d'appel de Bordeaux réduit alors sa garantie. Toujours mécontent de la recevabilité des conclusions d’appel en garantie, sur le fondement desquelles il a été condamné, le groupement attributaire se pourvoit ainsi en cassation.
Le Conseil d’Etat pose pour principe que l’établissement du décompte général et définitif d’un marché fige les droits et obligations des parties. A ce titre, le décompte général et définitif a pour effet d’interdire toute réclamation au titre de l’appel en garantie dès lors qu’il ne fait mention d’aucune réserve concernant un litige préexistant connu du maître d’ouvrage.
C’est ainsi que le juge du Palais-Royal précise que « la circonstance que le décompte général d'un marché public soit devenu définitif ne fait pas, par elle-même, obstacle à la recevabilité de conclusions d'appel en garantie du maître d'ouvrage contre le titulaire du marché, sauf s'il est établi que le maître d'ouvrage avait eu connaissance de l'existence du litige avant qu'il n'établisse le décompte général du marché et qu'il n'a pas assorti le décompte d'une réserve, même non chiffrée, concernant ce litige. Lorsqu'un maître d'ouvrage, attrait par un concurrent évincé devant le juge administratif, et ainsi nécessairement informé de l'existence d'un litige, après avoir appelé en garantie le maître d'œuvre, signe avec celui-ci, sans l'assortir de réserve, le décompte général du marché qui les lie, le caractère définitif de ce dernier a pour effet de lui interdire toute réclamation correspondant à ces sommes.
En conséquence, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit en estimant que « l'intervention du décompte général du marché de maîtrise d'œuvre conclu avec cette société ne pouvait faire obstacle à la recevabilité de ces conclusions, alors qu'il résultait de ses propres constations que le décompte avait été établi postérieurement à l'appel en garantie et à une date à laquelle le maître d'ouvrage avait nécessairement connaissance du litige l'opposant au groupement d'entreprises »
Le Conseil d’Etat met en garde les pouvoirs adjudicateurs s’agissant des effets attachés à l’établissement du décompte général et définitif. Ceux-ci doivent être d’autant plus prudents que l’oubli de mentionner des réserves concernant un appel en garantie emporte irrecevabilité des conclusions présentées devant le juge administratif en ce sens.