Laurent Frölich avocat assistance marchés publics et  droit avocat délégation de service public et  droit de la fonction publique, Paris et Lille

Rappel sur l’indemnisation du candidat irrégulièrement évincé de l’attribution d’un marché public

(Conseil d’Etat, 28 février 2020, n°426162)
 
Par un arrêt en date du 28 février 2020, le Conseil d’Etat a précisé les modalités d’indemnisation d’un candidat à l’attribution d’un marché public irrégulièrement évincé.
 
La commune de Saint-Benoît avait lancé une procédure de passation d'une délégation de service public pour l’exploitation du service de restauration municipale. La société Régal des Iles, qui avait candidaté, avait été informée par le maire de Saint-Benoît que son offre n'avait pas été retenue. La société Régal des Iles avait alors déposé un recours « Tropic Travaux » en contestation de la validité de cette délégation de service public devant le tribunal administratif de La Réunion. Ce dernier, qui a requalifié la convention de délégation de service public en marché public, a ainsi constaté que la procédure de passation du contrat était affectée de vices « présentant un caractère d'une particulière gravité », en a prononcé la résiliation et a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par la société requérante sur le fondement du manque à gagner. Porté en appel, le litige a fait l’objet d’un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux, laquelle a rejeté l'appel principal et l'appel incident formés par la commune et la société requérante. La société Régal des Iles forme alors un pourvoi en cassation contre cet arrêt, en ce que le juge d’appel a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de la commune à lui verser une somme de 8 758 890 euros au titre du manque à gagner né de son éviction irrégulière du marché et des frais de présentation de son offre.
 
Après ce bref rappel des faits de l’espèce, le Conseil d’Etat dresse un véritable guide de l’indemnisation du candidat évincé d’un marché public :
 
« Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. En revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général. »
 
Il en résulte donc que cette indemnisation du fait de l’éviction irrégulière doit être qualifiée progressivement :
 
-       En premier lieu, le juge administratif doit constater l’irrégularité de l’éviction du candidat et les préjudices dont ce dernier se prévaut, pour ensuite établir un lien de causalité entre la faute du pouvoir adjudicateur et ces mêmes préjudices subis par le candidat.
 
-       En second lieu, le juge administratif doit opérer une véritable appréciation in concreto de l’offre du candidat et établir les chances qu’il avait de se voir attribuer le marché. Cette appréciation du juge va déterminer la teneur de l’indemnisation à laquelle a droit le candidat évincé :
o   S’il ressort qu’il ne disposait d’aucune chance de gagner, le candidat irrégulièrement évincé n’a droit à aucune indemnisation.
o   S’il ressort qu’il disposait d’une chance de gagner, le candidat évincé a droit à être indemnisé des frais qu’il a avancés pour présenter son offre.
o   S’il ressort qu’il disposait d’une chance sérieuse de gagner, à comprendre qu’il aurait dû être attributaire du marché si les irrégularités n’avaient pas été commises, le candidat évincé a droit à être indemnisé du manque à gagner.
 
-       En troisième lieu, le juge administratif peut, bien que les chances de gagner le marché soient certaines, ne pas indemniser le candidat évincé dès lors que la procédure de passation a été déclarée sans suite pour un motif d’intérêt général : la solution ici est donc classique.
 
Relevant que le juge d’appel avait dénaturé les faits qui lui étaient soumis, notamment en ce qu’il a estimé que la société Régal des Iles n’avait aucune chance de remporter le marché malgré son classement en deuxième position, le Conseil d’Etat casse et annule l’arrêt rendu par la CAA de Bordeaux.