Laurent Frölich avocat assistance marchés publics et  droit avocat délégation de service public et  droit de la fonction publique, Paris et Lille

Un référé précontractuel touchant à la prévention de l’atteinte au secret des affaires : une neutralisation partielle de la procédure de passation si l'impartialité de l’AMO est remise en cause

TA Nancy, ord. 26 octobre 2020, SHAM, n°2002619 [PDF]
TA Nancy, ord. 4 novembre 2020, SHAM, n°2002618 [PDF]
 
En l’espèce, le CHRU de Nancy a lancé une procédure de passation d’un marché public ayant pour objet des prestations d’assurance pour les membres du groupement hospitalier du territoire Sud Lorraine.  
 
Dans le cadre de cette procédure, une mission d’assistance à la maîtrise d’ouvrage (AMO) a été confiée à une société. La SHAM, société candidate, a contesté la partialité de l’AMO devant le juge des référés précontractuels, au motif que le dirigeant de la société en charge de l’AMO entretiendrait des liens étroits avec une autre société candidate, la société BEAH, d’une part, et d’autre part que ce même dirigeant s’exprimerait avec animosité à l’égard de la SHAM.
 
La société requérante a, en parallèle, saisi le juge d’un nouveau référé « secret des affaires », prévu à l’article R.557-3 du CJA.
 
Une prévention effective du risque d’atteinte au secret des affaires
 
Dans une première ordonnance du 26 octobre 2020, le juge des référés a estimé que les liens unissant la société BEAH avec le dirigeant de la société assurant l’AMO ainsi que l’animosité de cette dernière à l’égard de la SHAM caractérise une atteinte imminente au secret des affaires : « Dans ces conditions, eu égard à l’intensité et au caractère récent des liens qui unissent la société BEAH avec M. E… et à l’animosité particulière avec laquelle M. E… exprime à l’égard de la SHAM, et, d’autre part, au fait que ces sociétés sont fréquemment en concurrence pour l’attribution de marchés publics d’assurance de centres hospitaliers, la société requérante établit que la collaboration de M.E… comme assistant à la maîtrise d’ouvrage pour l’analyse des offres des candidats constitue avec un degré de vraisemblance suffisant l’existence d’une atteinte imminente au secret des affaires. Elle est par suite fondée à demander au juge des référés des mesures visant à prévenir une telle atteinte. ».
 
Par conséquent, le juge des référés s’est appuyé sur l’article R. 152 -1 du code du commerce afin d’ordonner la suspension de l’analyse des candidatures et des offres et a enjoint au pouvoir adjudicateur d’interdire à son AMO l’accès aux documents de la société requérante couverts par le secret des affaires.
 
… mais qui n’entraîne pas pour autant une annulation totale de la procédure de passation du marché en cause
 
Cependant, dans une seconde ordonnance du 4 novembre 2020, le Tribunal administratif de Nancy a rejeté la requête de la SHAM en considérant que cette dernière ne peut plus être regardée comme un candidat susceptible d’être lésé par une atteinte au secret des affaires, ce manquement n’étant pas constitué à la date de l’ordonnance du 4 novembre, compte tenu des mesures prises par le juge dans son ordonnance du 26 octobre 2020.
 
Le Tribunal a également considéré que : « Par ailleurs, il ne résulte pas de l’instruction que la mission de M. E… ait pu, avant le stade de l’analyse des offres, exercer une quelconque influence sur l’issue de la consultation ».
 
Il conclut que « eu égard au stade de la procédure auquel se rapporte le risque allégué, que la société requérante ne se prévaut d’aucun manquement constitué, mais simplement d’un risque que le CHRU, désormais alerté, reprenne la procédure de passation au stade de l’analyse des offres en y associant M. E »
 
Ainsi, si le juge administratif n’hésite pas à sanctionner un pouvoir adjudicateur dont l’impartialité de l’AMO est incertaine afin de prévenir les atteintes potentielles au secret des affaires, cela ne signifie pas pour autant que la procédure de passation du marché en cause sera neutralisée dans son ensemble.