Laurent Frölich avocat assistance marchés publics et  droit avocat délégation de service public et  droit de la fonction publique, Paris et Lille

Une offre à zéro euro n’est pas en soi irrégulière

CE 24 décembre 2020, n° 439430, Société Antares
 
https://juricaf.org/arret/FRANCE-CONSEILDETAT-20201224-439430
 
La Chambre de commerce et d’industrie de la Région Paris-Île-de-France (CCIR) a initié une procédure d’appel d’offres en vue de la conclusion d’un accord-cadre portant sur des prestations de gérance d’un centre d’appel et d’assistance téléphonique.
 
Le règlement de consultation prévoyait en plus de l’offre de base, une prestation supplémentaire éventuelle liée à un nouvel outil de gestion informatique. La société Antares a déposé une offre. Elle a ensuite été informée du rejet de son offre, celle-ci ayant été considérée comme irrégulière au motif que la prestation supplémentaire n’était pas chiffrée dans tous ses éléments. La société a alors décidé de saisir le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Paris. Ce dernier a annulé la décision de rejet et celle d’attribution du marché, et a enjoint au pouvoir adjudicateur de reprendre la procédure au stade de l’analyse des offres. La Chambre de commerce et d’industrie de la Région Paris-Île-de-France s’est pourvue en cassation contre cette ordonnance devant le Conseil d’État.
 
La question était de savoir si l’offre déposée par la société requérante pouvait être analysée comme une offre irrégulière au sens de l’article L. 2152-2 du Code de la commande publique qui définit une offre irrégulière comme une « offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu’elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ».
 
La société avait bien chiffré la prestation supplémentaire éventuelle en mentionnant dans son bordereau de prix unitaire un prix à zéro euro pour chacune des tranches de quantité de licences demandées, prix qu’elle a confirmé après une demande de précision de la part de la CCIR. La société a précisé que dans l’hypothèse d’une migration vers le nouvel outil informatique, la CCIR serait dispensée du paiement de licences pour cet outil.
 
Le Conseil d’État confirme la solution du juge des référés, et estime que « en jugeant que la seule référence, dans la réponse de la société, à la volumétrie des licences actuelles du marché n’avait pu, dans les circonstances de l’espèce et compte tenu de l’ensemble des réponses apportées par la société Antarès, créer une ambiguïté sur le prix de zéro euro proposé pour les licences dans le cadre de la PSE et en déduisant que l’offre de la société ne pouvait être regardée comme irrégulière, le juge des référés n’a entaché son ordonnance ni d’une erreur de droit, ni d’une dénaturation des pièces du dossier ».
 
Autrement dit, lorsque le concurrent doit déposer, en plus de l’offre de base, une offre pour une prestation complémentaire éventuelle, aucune règle ne s’oppose à ce que son offre soit à zéro euro. Par conséquent, un pouvoir adjudicateur ne peut pas écarter comme irrégulière une offre chiffrée à zéro euro.
 
Cette affaire permet de mettre en avant la question des offres à zéro euro, qui peuvent susciter des interrogations et des difficultés. Dans une jurisprudence récente, la Cour de Justice Européenne considère que dès lors qu’une offre à zéro euro est susceptible de constituer un prix attractif, il appartient au pouvoir adjudicateur de demander une justification à l’entreprise pour déterminer si son offre doit être rejetée :
 
« Dans ces conditions, dès lors qu'une offre au prix de zéro euro peut être qualifiée d'offre anormalement basse, au sens de l'article 69 de la directive 2014/24, lorsqu'un pouvoir adjudicateur est confronté à une telle offre, il doit suivre la procédure prévue à cette disposition, en demandant au soumissionnaire des explications quant au montant de l'offre. Il résulte, en effet, de la logique sous-jacente à l'article 69 de la directive 2014/24 qu'une offre ne saurait automatiquement être rejetée au seul motif que le prix proposé est de zéro euro » (CJUE 10 septembre 2020, aff. C-367/19, Tax-Fin-Lex)
La Cour rappelle qu’une offre ne saurait automatiquement être rejetée au seul motif que le prix proposé est de zéro euro.