Laurent Frölich avocat assistance marchés publics et  droit avocat délégation de service public et  droit de la fonction publique, Paris et Lille

Une société n’est pas fondée à demander l’indemnisation de la marge bénéficiaire dans le cadre d’une résiliation pour motif d’intérêt général

CAA Versailles, 26 novembre 2020, n° 17VE03487
 
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000042590325
 
Cet arrêt illustre les modalités d’établissement du décompte général de résiliation des marchés de fournitures courantes et de services.
 
L’agence centrale des organismes de sécurité sociale avait conclu avec une société un accord-cadre portant sur l’externalisation des flux téléphoniques. Cependant, à peine quelques mois après le commencement du contrat, l’agence a résilié le contrat pour motif d’intérêt général. Le titulaire, la société H2A TELEMARKETING qui n’avait été que partiellement satisfaite dans sa demande de paiement du solde du marché en première instance, en a relevé appel.
 
L’indemnisation est la contrepartie du pouvoir exorbitant dont dispose l’Administration de résilier unilatéralement le marché pour un motif d’intérêt général. La personne publique doit alors réparer intégralement tous les préjudices présentant un caractère direct et certain subi par le titulaire.
 
En premier lieu, le titulaire du marché résilié demandait l’indemnisation des frais qu’il avait exposés pour mettre en œuvre diverses installations, matériels et outillages en vue de l’exécution du marché.
 
Conformément à une jurisprudence constante, le titulaire est fondé à demander l’indemnisation de la perte résultant des achats et investissements mis en œuvre au titre du marché et pour l’exécution de ce marché. Peuvent ainsi être indemnisés l’emploi du gros matériel utilisé sur le chantier, des frais généraux de l’entreprise, des frais exposés par l’entrepreneur pour financer les travaux.
 
En outre, la rémunération des employés de l’entreprise est indemnisable s’il est démontré qu’elle constitue une charge qui aurait été couverte par le règlement du marché ou résulte directement de la résiliation du marché (CE 18 janvier 1991, n° 80827, Ville d’Antibes c/ SARL Dani).
 
En l’espèce, la Cour administrative d’appel a retenu plusieurs chefs de préjudice correspondant à des dépenses dont elle indique qu’elles n’ont pu être amorties. La Cour admet différents préjudices liés aux frais de personnel, y compris des frais de recrutement, de formation et de licenciement économique.
 
La Cour a examiné la possibilité pour la société de réemployer les fournitures pour l’exécution d’autres prestations similaires.
 
En deuxième lieu, le cocontractant a droit à être indemnisé de la perte de bénéfice subie à raison de la fin anticipée du contrat. Plusieurs jurisprudences ont précisé de longue date les modalités de calcul de ce préjudice : il convient notamment de se référer au manque à gagner au jour de la résiliation. Pour autant, la fixation de l’indemnité liée à la perte de marge peut être encadrée par une stipulation contractuelle, et tel était le cas en l’espèce.
 
En effet, aux termes de l'article 33 du CCAG FCS 2009 relatif à la résiliation pour motif d'intérêt général : « Lorsque le pouvoir adjudicateur résilie le marché pour motif d'intérêt général, le titulaire a droit à une indemnité de résiliation, obtenue en appliquant au montant initial hors taxes du marché, diminué du montant hors taxes non révisé des prestations admises, un pourcentage fixé par les documents particuliers du marché ou, à défaut, de 5 %. / Le titulaire a droit, en outre, à être indemnisé de la part des frais et investissements, éventuellement engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, qui n'aurait pas été prise en compte dans le montant des prestations payées. Il lui incombe d'apporter toutes les justifications nécessaires à la fixation de cette partie de l'indemnité dans un délai de quinze jours après la notification de la résiliation du marché. Ces indemnités sont portées au décompte de résiliation, sans que le titulaire ait à présenter une demande particulière à ce titre. »
 
En l’espèce, l’indemnité forfaitaire de 5 % prévue par les stipulations de l'article 34.2.2.4 du CCAG FCS a pour objet d'indemniser le manque à gagner subi par le cocontractant du fait de la résiliation du marché pour motif d'intérêt général.
 
Or, les stipulations fixant une indemnité forfaitaire font obstacle à ce que le cocontractant créancier ne réclame une indemnité complémentaire au titre du même fait générateur, y compris lorsque le préjudice subi apparaît supérieur. Sans surprise, la Cour applique donc ce raisonnement pour rejeter la demande tendant à obtenir une indemnité excédant la somme contractuellement prévue. La Cour considère donc que la société n'est pas fondée à demander en outre l’indemnisation de la marge bénéficiaire de 33,27% qu'elle aurait perdue du fait de cette résiliation.